Daniel Dobbels | voices

“Depuis des années, avec une “patience d’ange” (l’expression, en français, est en soi mystérieuse et elle peut indirectement nous faire penser aux anges de Paul Klee, c’est à ceux-ci qu’il faudrait se référer s’il en était besoin et notre époque en a besoin), qu’Iris Dittler construit ce qui est plus qu’une voie ou une oeuvre, un art de la sobriété dont les gestes constituent les plus discrètes alliances et jointures. Art tactile aussi bien que visuel: il évalue les conditions progressives, graves ou légères, à partir desquelles des formes naîtront, de plus en plus insolites, tenant compte pourtant d’un assentiment du corps. Démarche en ce sens tout autre que formelle: aucune des pièces que crée Iris Dittler n’ existera définitivement ou passagèrement sans avoir reçu, en quelque sorte, l’aval heureux du corps. Corps ayant lui-même fait l’expérience de sa plasticité, éprouvé et pris le risque d’un jugement ou d’un droit que le mouvement dansé porte en lui hors de toute agressivité ou violence exercée. En quel sens le corps dit-il oui à un objet dont l’utilité n’est, d’évidence, pas immédiate et la valeur esthétique encore incertaine (puisqu’elle ne répond pas, d’emblée, à certaines normes, furent-elles celles que l’art dit contemporain met en avant, souvent sous le mode de la performance. Iris Dittler s’éloigne de ces codes-là (où l’égotisme reprend ses droits) en déclinant et mettant au jour des choses induites par des attentes de corps où la sensibilité et la sensation, elles aussi, sont comme en état d’alerte. Cette réceptivité (entre passivité, patience et exposition de soi à des forces secrètes et même jalouses) donnent lieu à ce que Benjamin appelle “la teneur de vérité”. L’espace et le temps en doublent la mesure en l’accueillant; le spectateur en ressent la justesse et le don tangible. L’ange sait que rien ne lui fera perdre patience: l’aile du temps continue de battre doucement.”
  Daniel Dobbels 
*1947, chorégraphe de danse contemporaine,
écrivain, essayiste et critique d´art